Article paru dans le journal “Dos aux Murs” N°2
Une famille locataire d’un appartement à Pierrefitte est assignée par les propriétaires pour loyers impayés. Les propriétaires n’ont bien sûr pas pris la peine de venir et sont donc représentés par leur avocate. Celle-ci explique la situation à la juge : « À l’origine, ce logement disposait d’un bail précaire, à 500 euros par mois. L’année passée, des travaux ont été effectués, augmentant ainsi le loyer à 650 euros par mois. Les locataires ont refusé de payer cette augmentation pendant un certain temps, et depuis les quatre derniers mois, ils ont même complètement arrêté de payer leur loyer. » Selon les dires de l’avocate, la somme des impayés s’élèverait à 8000 euros.
L’avocate feint d’être conciliante : « Je ne suis pas opposée à des délais de paiement, mais dans ce cas il faudra compter 350 euros par mois, en plus du loyer ! ». Cela ne l’empêche d’ailleurs pas de solliciter l’expulsion. Elle en profite également pour humilier un peu plus la locataire, en employant un ton condescendant : « Madame A. n’a même pas été capable de me fournir les quittances de loyer, comme je lui ai pourtant demandé. »
Suite à ça, Mme A. a enfin le droit de s’exprimer. En colère, elle explique qu’elle n’est pas d’accord avec la somme annoncée par l’avocate. Elle affirme que les propriétaires ne sont pas réglos et qu’ils n’ont entrepris des travaux que de façon superficielle. Photos à l’appui, elle montre en effet à la juge que l’immeuble est très mal entretenu, que les parties communes sont laissées à l’abandon, à tel point que les locataires sont obligé-es de porter des bottes pour descendre à la cave, afin d’éviter de se faire mordre par les rats ! « Chez nous, il pleut dans la salle de bain ! Et il y a une trappe dans notre appartement qui ferme pas, et qui donne directement sur l’extérieur : j’ai peur pour mes enfants, tout le monde peut rentrer chez nous. On habite à Pierrefitte, pas dans le 16e… »
Alors voilà, si Mme A. et son mari ont entamé une grève des loyers, car c’est bien de cela dont il s’agit, c’est parce qu’ils considèrent qu’une partie du loyer devrait être utilisée par les propriétaires pour faire de réels travaux, permettant d’améliorer leur quotidien dans l’immeuble. La réponse de l’avocate est dénuée de toute compassion : « Il n’y a eu aucune démarche administrative de la part des locataires, aucun courrier recommandé. » Comme si tout le monde était familier de ce genre de procédure.
Comme « solution », Mme A. propose de payer 100 euros chaque mois en plus du loyer, sur 24 mois, pour régler la dette. Mais elle est hésitante quant à la somme. Et c’est normal : le couple a trois jeunes enfants, elle est au chômage et son mari est camionneur. Ils vivent donc sur un seul salaire. Mais la juge ne lui laisse pas le temps de réfléchir plus longtemps. Elle fonce et conclut : « Décision rendue le 4 mars ».
La conclusion de Mme A. est bien plus humaine: « On peut pas laisser les gens vivre dans cette précarité et leur demander de payer. » Et pourtant, on dirait bien que si. D’ailleurs, rien n’est encore joué : il suffira d’un seul mois non payé pour ordonner l’expulsion de cette famille.
Plusieurs familles se sont succédées à la barre, après Mme A. Il est frappant de constater à quel point les histoires se ressemblent : la majorité des assigné-es est issue de milieux populaires, touchée par le chômage, et noire ou arabe. De là à parler de justice de classe et de justice raciste, il n’y a qu’un pas…
beaucoup appris