Article paru dans le journal “Dos aux Murs” N°2
Dans le cadre du plan de rénovation du centre-ville (PNRQAD) une vaste opération immobilière est prévue dans le quartier de la gare au niveau du secteur appelé « tête Delaune ». Au prétexte de construire des logements étudiants, tout un îlot comprenant trois hôtels meublés et plusieurs commerces populaires va être rasé à l’angle des rues Ernest Renan et Auguste Delaune, ainsi que les immeubles du 6 rue Brise Echalas et du 1 rue Dezobry.
72 logements minimum vont disparaître (alors que beaucoup sont encore en bon état) sans compter le café des sports et les logements qui ont déjà été démolis au 2-4 rue Brise Echalas les années précédentes. Plusieurs commerces, épiceries, taxiphones seront expropriés et devront fermer. Le coût de l’opération est estimé à 13 millions d’euros (soit un quart du budget du PNRQAD qui est de 52 millions).
L’objectif avoué de la mairie est de « transformer en profondeur l’image du quartier » et de « requalifier cette entrée de ville » (1). Visibles depuis la gare RER, les hôtels meublés donneraient une mauvaise image de Saint-Denis. La mairie préfère en chasser les habitant-e-s et les remplacer par des résidences étudiantes. C’est une étape importante vers le changement de population et la gentrification du quartier (voir encadré ci-dessous).
Même s’ils sont souvent trop petits, inconfortables et que les propriétaires sont souvent des marchands de sommeil, les logements qui vont être détruits constituent ce qu’on appelle le « logement social de fait » : de nombreuses personnes à qui on refuse l’accès aux logements HLM (par discrimination sur la base de la nationalité ou à cause de revenus trop bas) se logent en hôtels meublés ou louent un studio à plusieurs dans les immeubles du parc privé.
Détruire ces bâtiments, c’est chasser une partie de la population du quartier : celle qui n’a pas accès aux logements HLM. Les habitant-e-s les plus précaires ne profiteront pas des rénovations et devront aller se loger ailleurs.
Quel relogement pour les habitants expulsés ?
Actuellement la SOREQA, la société chargée des expropriations et des expulsions par la mairie, passe dans certains immeubles pour recenser les habitant-e-s. Elle promet parfois un relogement sur place, mais fixe souvent des critères sélectifs qui laissent une partie des habitant-e-s de côté. Par exemple, les personnes qui habitent dans les hôtels doivent justifier d’un an de présence dans les lieux, avec attestation du gérant, pour prouver leur « bonne foi » et espérer être relogées.
La mairie avoue elle-même dans un article du Journal de Saint Denis (JSD) que sur les 160 ménages qui seront chassés de chez eux, 65 % ne rentrent pas dans les critères pour obtenir un logement social (2). Plusieurs personnes que nous avons rencontrées n’étaient même pas au courant du projet et de ce qui allait leur arriver.
La rénovation urbaine se fait aussi contre les petits commerces.
Parallèlement à la destruction de ces immeubles, la mairie veut « requalifier l’offre de commerce », dans les faits cela se traduit par l’expropriation de commerces populaires, africains pour la plupart, remplacés par des magasins qui ciblent les classes moyennes et supérieures.
« On va se saisir de ce programme pour favoriser une plus grande offre que les cafés, cabines téléphoniques et bazars » a déclaré Stéphane Peu dans le JSD (3). Il s’agit de remplacer les épiceries, les taxiphones ou les kebabs du quartier par des commerces soi-disant « de qualité » : fleuristes, caves à vins, épiceries bio, ou magasins de chapeaux…
Le renouvellement des fonds de commerce s’inscrit dans le projet plus large qui débute en 2005 avec le Schéma de Cohérence Commerciale, initié par Plaine Commune. Ce plan s’échelonne sur 15 ans, et MM Langlade et Girard, adjoints au maire, en sont chargés à Saint-Denis. Il s’agit de favoriser l’implantation de certains commerces et d’en bloquer d’autres.
Les méthodes employées
« La ville dispose de quelques outils pour contrer l’installation de magasins bas-de-gamme qui prédominent à Saint-Denis ». La municipalité entend par commerces « bas-de-gamme », des épiceries, des taxiphones, de la restauration rapide, un retoucheur … Plusieurs méthodes sont employées par la mairie afin de mettre en oeuvre ce projet de réaménagement urbain :
Le droit de préemption : En août 2008 est votée la Loi de Modernisation de l’Économie, qui permet aux mairies d’avoir le droit de préemption, « qu’elle peut exercer sur un périmètre de sauvegarde, préalablement décidé en conseil municipal » (4). Autrement dit, la ville a un droit de veto lors des transactions ou des renouvellements de bail entre le propriétaire des murs et le ou la commerçante, puisqu’il est obligatoire de déclarer le changement ou renouvellement du commerce. De plus, la mairie a la priorité dans le rachat de locaux.
L’asphyxie des commerces : La suppression progressive des places de stationnement à proximité ont rendu plus difficiles les livraisons de marchandises, sachant que les places sont chères et que les PV et les amendes tombent régulièrement. De plus, les arrêtés municipaux (5) sont nombreux et permettent au maire de prendre des décisions unilatérales et contraignantes envers les commerçant-e-s. C’est notamment le cas de l’arrêté qui empêche l’exposition de marchandises en extérieur, sauf sous dérogation spéciale.
Dans ce cas, comment l’équipe municipale peut-elle se permettre de dénoncer le bas-de-gamme des produits si elle empêche leurs fournisseurs d’avoir des zones de livraison ? Car cela oblige les commerçant-e-s à rester sur des produits limités en taille. Par exemple, pour des raisons pratiques, l’approvisionnement en sacs de riz de plus de 3 kilos est beaucoup plus compliqué s’il n’y a pas de zone de livraison.
L’expropriation : En utilisant une procédure de Déclaration d’Utilité Publique (DUP), la mairie a le pouvoir d’exproprier les commerces qu’elle souhaite racheter. Pour cela, elle doit d’abord passer par une enquête publique (annoncée par des affiches jaunes) où chacun et chacune peut donner son avis sur le projet. Mais la plupart du temps elle n’en tient pas compte et tout est déjà décidé à l’avance.
Refusant cette manière de faire, plusieurs commerçants sont entrés en procédure judiciaire contre la mairie. Beaucoup se souviennent du Café des Sports, qui a fini par être détruit par la municipalité l’année dernière. En 2002, celle-ci a d’abord racheté les murs par préemption, puis elle a cherché à résilier son bail sans indemnité et fait raser tous les bâtiments qui l’entouraient. Le commerçant a dû aller jusqu’à un procès pour faire défendre ses droits. Ainsi il a pu rester plusieurs années sur place et obtenir une indemnité d’éviction.
À qui profitent les plans de rénovation ?
« On cherche à faire fonctionner un mécanisme d’effet levier pour engager une dynamique » (6), explique la chef de projet PNRQAD, Sabine Loubet. Le plan de rénovation cible les quartiers de la Gare et de Porte de Paris, en cherchant à étendre à toute la ville un processus de changement radical à la fois dans les logements et dans les commerces. L’objectif des autorités est d’attirer de grandes enseignes, avec une offre commerciale « diversifiée et de plus haute qualité ». Actuellement, deux projets importants de ZAC (Zone d’Aménagement Concerté) sont en construction derrière la gare : ils prévoient la création d’un éco-quartier, de 82770 m2 de commerces et de bureaux (7), d’une nouvelle ligne de tramway et d’un port de plaisance pouvant accueillir 35 bateaux à voiles… Mais aussi l’expulsion de nombreux habitant-e-s.
La conséquence de ces projets sera une nouvelle augmentation des loyers pour tous et toutes. Au même moment l’Etat vend des dizaines de milliers de logements HLM au privé tous les ans, durcit leurs conditions d’attribution, privilégie la construction de logements sociaux réservés aux classe moyennes (PLS) et dynamite des barres entières de HLM… La crise du logement n’est pas une fatalité, elle est organisée au plus haut niveau de l’Etat. C’est un choix politique qui laisse de plus en plus d’habitant-e-s de côté.
Squatteurs, squatteuses, locataires ou sous-locataires, petit-e-s propriétaires ou petit-e-s commerçant-e-s : malgré nos situations différentes, tout le monde est concerné, la rénovation urbaine ne doit pas se faire sur notre dos !
Recette d’une gentrification réussie en 5 étapes :
1. Déclin des ouvriers, remplacés par les employés, et arrivée des pionniers : artistes, étudiants, squats alternatifs ;
2. Valorisation du quartier, développement des lieux culturels : bars branchés, galeries d’art, salles de spectacle… ;
3. Arrivée des cadres supérieurs, poursuite du déclin des ouvriers, baisse des employés ;
4. Forte progression des cadres supérieurs, fort déclin des classes populaires, éviction des populations pionnières ;
5. Opérations immobilières par des promoteurs, réaménagement urbain : rues piétonnes, jardins, pistes cyclables…
Au bout de ce processus, le quartier ouvrier devient un quartier embourgeoisé.extrait de l’article « Au bonheur des riches » dans Manière de voir, n° 114, L’urbanisation du monde, déc 2010/janv 2011
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(1) Dossier d’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique, consultable sur notre site internet : ICI
(2) Article du JSD n°843 du 29-09-2010 : « Dix opérations immobilières annoncent le nouveau départ du quartier de la gare »
(3) Déclaration de Stéphane Peu (adjoint au maire au logement et président de l’office HLM Plaine Commune Habitat) dans le JSD n°843 du 29-09-2010 : « Dix opérations immobilières annoncent le nouveau départ du quartier de la gare »
(4) JSD n°939 du 19-12-2012 : « Commerces en centre ville : La ville à l’ambition de redorer ses vitines «
(5) Décision administrative prise par le maire ou en son nom par le maire adjoint, un conseiller municipal ou certains hauts fonctionnaires municipaux.
(6) JSD n°843 du 29-09-2010 : « Dix opérations immobilières annoncent le nouveau départ du quartier de la gare »
(7) Site internet de la ZAC appelée « Gare confluence » : http://www.gareconfluence.fr/