(Leur presse : Le monde.fr)
T4, une lettre et un chiffre qui cristallisent toutes les passions dans l’est de la Seine-Saint-Denis. Ce projet de tramway, moins médiatisé que le Grand Paris express, le super métro attendu en Ile-de-France, est cœur d’une bagarre qui agite depuis sept ans les communes de Clichy-sous-Bois, Montfermeil d’un côté, et Livry-Gargan et Pavillons-sous-Bois de l’autre. Et c’est dans une une ambiance de veillée d’armes qu’est attendu fin février le résultat de la commission d’enquête suite à la consultation publique qui vient de s’achever.
Sur les bords de la route nationale à l’entrée de Livry-Gargan, des panneaux annoncent déjà « Non au tracé 4 », du nom du parcours prévu du futur tramway à l’intérieur de la commune. A chaque carrefour, des calicots qui proclament « Notre quartier en danger ! ». Alain Calmat, maire divers gauche, n’a pas ménagé sa peine pour mettre en scène le refus de ses administrés. Le site de sa ville garde le même ton alarmiste avec un dessin agrémenté de feux signalant tous les embouteillages que le futur tramway ne manquera pas de provoquer. « C’est un projet aberrant, hyper surestimé sur ses capacités, hors de prix et destructeur pour nos deux villes », résume-t-il.
Sortir les habitants de leur isolement
L’enjeu de ce projet porté par la Région est de désenclaver les communes de Clichy et Montfermeil et particulièrement le Plateau, quartier populaire éloigné de toute infrastructure de transport. Sans voiture, il ne faut pas loin d’une heure et demie pour se rendre à Paris avec un bus qui relie les deux villes à la gare de Gargan. La revendication d’une liaison rapide sortant les habitants de leur isolement n’est pas nouvelle. Et au lendemain des émeutes urbaines de 2005, le gouvernement Villepin s’était engagé à la réaliser.
Après des années de disputes, de projets de tracé présentés puis retirés, le Syndicat des transports parisiens (STIF) tranche : c’est le débranchement de la ligne existante T4 allant de Bondy à Aulnay-sous-Bois qui est retenu. Mais l’itinéraire partant de la gare de Gargan située sur la commune de Pavillons et traversant la ville de Livry et ses rues commerçantes provoque une levée de boucliers immédiate des élus des deux communes. Commerces asphyxiés, embouteillages monstres, disparition de places de parking et danger au abords des écoles, aucun argument n’est négligé pour dénigrer le tracé retenu. « Pour la commune, c’est la garantie absolue qu’on ne pourra pas venir en centre-ville », plaide encore Philippe Dallier, maire UMP des Pavillons-sous-Bois.
« Peur des voitures qui brûlent »
M. Calmat fait mine d’être persuadé que ses 6 500 pétitionnaires et 589 avis négatifs d’habitants lors de l’enquête publique feront que la « Déclaration d’utilité publique ne sera accordée au projet ». « Sauf si le buzz médiatico-compassionnel joue », lâche cet ancien champion de patinage artistique. Le ton est donné. Pour M. Calmat, depuis les émeutes urbaines parties de Clichy-sous-Bois en 2005, les pouvoirs publics chercheraient à donner des « gages ». Avec son allié UMP, l’élu fustige la« démagogie » et « les bonnes intentions » affichées par les pouvoirs publics pour soutenir un projet rendu obsolète, selon eux, par le futur Grand Paris express. La ligne rouge prévue relierait Gargan en 18 minutes arguent-ils. Mais pas avant 2025.« Avec le Grand Paris Express, le contexte a changé mais on continue mordicus par peur que trois voitures brûlent là-haut », renchérit M. Dallier. « Là-haut », c’est le Plateau et ses cités pauvres, bien loin des petits pavillons des deux communes.
Soutenus par le président du conseil général, Stéphane Troussel et Jean-Paul Huchon, président de la région, les élus des communes de Clichy et Montfermeil font le dos rond. Mais l’atmosphère est tendue. « C’est devenu haineux avec des populations chauffées à blanc par leurs élus sur des arguments avancés pour faire peur », assure Xavier Lemoine, maire UMP de Montfermeil. « C’est un égoïsme local à la limite du poujadisme », dénonce Olivier Klein maire PS de Clichy. Qui ajoute comme un euphémisme : « je ne veux pas croire que les Clichois fassent peur à qui que ce soit ». Pierre Serne, vice-président du conseil régional chargé des transports, prend moins de gants : « J’ai le sentiment qu’on a deux villes qui ne veulent pas être traversées, non par le tram, mais par les habitants des villes pauvres d’à côté ». A ses yeux, les longs mois de concertation ont servi à améliorer les projets « en écoutant les demandes de Livry et Pavillon ». Désormais la Région « ne tergiversera pas, assure-t-il. Le projet est prêt et financé. »
Sylvia Zappi
[Source : Le tramway qui divise des communes riches et pauvres de l’est du 93]